
OU TU VEUX, QUAND TU VEUX.
Chapitre 1
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Dans le bureau qu’il occupe depuis trois ans maintenant, Nathaniel contenait difficilement sa colère face à la demande de son aîné qui, de surcroît, semblait s’amuser de la situation :
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— J’ai d’autres choses à faire que de me soucier de l’organisation de l’anniversaire de la société, asséna Nathaniel d’une voix sans appel.
N’importe qui aurait abandonné à ce stade, mais c’était mal connaître Jacob, qui ne cilla même pas au ton utilisé par son frère devenu le DRH de la Harper corporation. Cette entreprise que leur père, décédé quinze ans plus tôt, avait créée.
— Voilà pourquoi j’ai fait appel aux services d’une boîte d’événementiel qui se chargera de tout. Elle appartient à mon ami Anthony.
Nathaniel se crispa davantage à l’évocation de ce prénom. Il n’avait jamais compris comment son frère, si droit, si sérieux, pouvait s’entendre avec un type comme lui. S’il devait trouver un opposé de Jacob, ce serait Anthony. Après réflexion, il se dit que c’était là sa chance de se sortir de ce guêpier.
— Très bien, donc tu t’en charges, c’est ton ami et ton idée, moi je ne veux rien avoir à faire avec ce genre d’événement inutile rempli de faux-culs.
Jacob lâcha un soupir, Nathaniel ne comprenait décidément rien à la diplomatie et aux rapports employés/employeurs. D’ailleurs, lorsque l’un d’eux avait un problème, il lui était plus facile de s’orienter vers lui plutôt que Nathaniel, qui avait la réputation d’être un tyran glacial. Et sur ce dernier point, le directeur financier était assez d’accord quand il l’observait ainsi, derrière son imposant bureau noir, les traits serrés en une moue réprobatrice dès qu’on s’approchait de lui, ses fins sourcils droits qui lui barraient le visage, accentuant cette aura peu avenante.
— Ca permettrait pourtant aux employés d’apprendre à te connaître et se rendre compte de l’homme charmant que tu peux être, ironisa l’aîné. Et je te rappelle que c’est ton travail en tant que DRH et directeur adjoint. Sans compter que Clyde t’attend au tournant. Il saisira la moindre bavure, comme par exemple, ne pas s’occuper des vingt ans de la boîte, et je ne pourrais rien plaider pour ta défense si tu refuses de prendre part à l’événement.
Pour toute réponse, Nathaniel lui lança un regard noir qui en disait long sur ses pensées. Plus amusé que vexé, Jacob finit par prendre congé. En sortant, il ne put s’empêcher de passer la main dans les cheveux châtains courts, parfaitement placés, grâce au gel, en un geste tendre.
— Il vient à onze heures, ça te laisse quelques heures devant toi pour échauffer les muscles de ton visage et éviter le claquage en lui souriant tout à l’heure. Car, bien sûr, tu seras un Harper agréable et avenant.
Cette dernière phrase effrita la patience déjà passablement entamée de Nathaniel. Il lui lança un de ses blocs-notes qui finit sur la porte. Jacob, anticipant la colère de son cadet, était sorti à temps.
— C’est pas vrai ! grogna le DRH en posant les coudes sur son bureau et sa tête entre eux.
Il reçut un appel de sa secrétaire qui lui annonçait son premier rendez-vous de huit heures. Se ressaisissant, il mit de côté cette idée saugrenue de fête et se concentra sur son travail. C’était en cet instant le meilleur moyen de calmer sa mauvaise humeur.
***
La matinée défila à toute vitesse et l’heure du rendez-vous avec Anthony approchait. Nathaniel était plongé dans son travail quand on frappa à la porte.
— Entrez ! lança-t-il sans lever le nez de ses dossiers.
Il entendit le bruit de la porte que l’on ouvre et referme puis quelques pas et enfin un « pouf » sonore qui lui fit relever les yeux.
Devant lui, assis – sans y être invité – se trouvait un jeune homme à l’allure désinvolte qui le regardait avec insistance.
— Bonjour, M. Harper. Je suis Archie Evens, se présenta l’intrus en lui tendant la main.
Nathaniel se leva en évitant la main tendue. Il referma lentement le bouton de sa veste de costume et, avec une voix des plus froides, lança :
— Je ne me rappelle pas vous avoir permis de vous asseoir.
Surpris par la remarque, Archie baissa son bras. Toutefois, il ne bougea pas pour autant.
— Eh bien, vous m’avez demandé d’entrer, j’ai juste anticipé la suite, voilà tout.
Le regard de défi que lui lançait ce jeune effronté irrita Nathaniel. Cet homme devant lui devait avoir vingt-deux ans tout au plus, probablement encore étudiant, alors que faisait-il ici ?
— Écoutez, M. Evens, je ne suis pas connu pour ma patience, commença-t-il. Pouvez-vous m’expliquer, et de la manière la plus concise je vous prie, la raison de votre présence dans mon bureau ?
Archie fronça les sourcils. Est-ce que ce gars se payait sa tête ?
— Nous avons rendez-vous à onze heures pour parler de l’organisation des vingt ans dans votre société. Il faudrait peut-être vous tenir au courant de votre agenda, ajouta-t-il provocateur.
Nathaniel écarquilla les yeux avant de les détourner rapidement vers l’horloge sur le mur face à lui qui affichait bien onze heures, il n’avait pas vu le temps passer Cependant, ce n’était pas lui qu’il attendait :
— Je me souviens parfaitement de mon agenda, merci, également des personnes que je dois rencontrer, et je suis certain que ce n’était pas vous, mais Anthony.
— Oui, Anthony est mon cousin. Il m’a pris en stage dans sa boîte et m’a confié votre projet, répondit l’autre avec une assurance qui en disait long sur sa personnalité.
— Étudiant ? Stage ? C’est une plaisanterie, je suppose ? C’est Jacob qui vous a demandé de me faire une de ses blagues idiotes pour me « dérider » ? fit-il en mimant les guillemets. C’est bon, c’était très réussi, vous pouvez disposer.
Et sans attendre de réponse, il se rassit en prenant soin d’enlever le bouton de sa veste et se replongea dans ses dossiers.
Archie haussa un sourcil devant l’absurdité de la situation. Il n’avait pas tout compris, mais, apparemment, ce M. Harper se moquait ouvertement de lui, et cela, il ne l’acceptait pas. Il n’avait pas l’habitude de se laisser rabaisser sans raison.
— Je ne sais pas du tout de quoi vous parlez. J’ai besoin de connaître les détails de la fête pour pouvoir vous faire des propositions et les budgéter. Alors si on pouvait se concentrer sur le projet et uniquement sur ça, ce serait bien. Au plus vite, on aura terminé, au plus vite je m’en irais.
Nathaniel plongea son regard dans celui de son vis-à-vis. N’ajoutant rien, il composa un numéro sur son téléphone et mit le haut-parleur :
— Jacob, tu peux venir, s’il te plaît ?
Il avait pris la voix la plus calme possible pour obtenir une réponse favorable.
— Je suis occupé là, p’tit frère. C’est urgent ?
— Oui, et ça ne sera pas long.
En soupirant, son aîné acquiesça et cinq minutes plus tard, durant lesquelles aucun n’échangea un mot, Jacob arriva dans le bureau.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Est-ce Anthony ? demanda Nathaniel en désignant l’étudiant d’un geste de la main.
Jacob, d’abord surpris par cette question, en comprit le sens en voyant l’homme assis en face de son petit frère. Il s’avança alors vers lui et le salua.
— Bonjour, Jacob Harper, se présenta-t-il.
— Bonjour, répondit Archie en se levant pour lui serrer la main.
Observant le nouveau venu, Archie se fit la réflexion que le lien de parenté qui unissait les deux hommes n’était pas flagrant au premier abord. Si les cheveux de
Nathaniel étaient bruns assortis à ses yeux, Jacob arborait un crâne rasé pour cacher une calvitie naissante et portait une barbe impeccablement entretenue, sans doute pour compenser. Ses pommettes étaient rebondies et souriantes. Dans l’ensemble, le personnage semblait avenant, le contraire de son premier interlocuteur.
Nathaniel fronça les sourcils à cet échange bien différent du sien.
— Vous êtes ? questionna l’aîné des Harper.
— Archie Evens, le cousin d’Anthony, je suis étudiant en dernière année de communication à l’université de San Francisco, il m’a pris en stage chez lui et confié ce projet. Bien sûr, je ne ferai rien sans son aval. Il ne vous en a pas parlé ?
Nathaniel scruta avec attention son aîné. Si c’était un de ses coups habituels, il le verrait tout de suite. Cependant, Jacob semblait sincèrement ignorer la situation :
— Non, mais je lui fais entièrement confiance. S’il vous a demandé de gérer les vingt ans de la boîte, je vous donne carte blanche.
Un franc sourire illumina le visage d’Archie qui le remercia chaleureusement.
— Alors c’est réglé, je retourne à ma réunion. Nathaniel, je te laisse voir les détails avec M. Evens.
Puis s’adressant à ce dernier :
— Je compte sur vous pour organiser une soirée qui reste professionnelle, permettant toutefois aux membres de l’entreprise de passer un bon moment et d’apprendre à se connaître, c’est avant tout le but recherché : créer des liens.
Acquiesçant, Archie regarda le directeur quitter le bureau et se retourna vers son cadet :
— Voilà, c’est clair, en une phrase votre frère a répondu à ma question.
— Ravi que vous soyez satisfait. Bien, vous pouvez disposer. Vous m’enverrez par mail vos propositions que j’étudierai avec le plus grand soin, ajouta-t-il avec un
rictus moqueur sur le visage.
Archie se retint de remettre en place cet homme qui s’y croyait un peu trop. Il s’abstint toutefois, se rappelant que c’était son premier projet, et surtout, un défi pour sa future carrière. Il ravala sa colère et quitta la pièce.
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Le calme retrouvé dans son bureau, Nathaniel sourit, satisfait de sa dernière réplique, et entreprit de se remettre au travail. Ces futilités l’en avaient sorti.
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***
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— Holà ! s’écria la voix d’Al. Tout doux, tu vas me les abîmer.
Archie s’arrêta net, comme si soudain, il reprenait conscience de l’endroit qui l’entourait. Il regarda les fleurs dans ses mains qu’il tentait de planter depuis un moment comme un automate.
Al les prit entre ses doigts et observa les dégâts.
— Tu as détaché des pétales, idiot.
Il reposa la plante qu’il tenait comme si c’était une relique sacrée et se tourna vers celui qu’il considérait comme son petit-fils :
— Je ne sais pas ce qu’il t’arrive aujourd’hui, mais j’aimerais bien que tu sois plus attentif. Sinon je préfère me passer de ton aide.
Archie replaça son bonnet large qui cachait le désordre de ses cheveux et soupira.
— Excuse-moi Al, ça va t’inquiète, je vais finir de planter tes géraniums, le rassura-t-il.
Al eut un hoquet de surprise qui fit sourire Archie.
— Des hortensias, jeune ignorant ! le rabroua-t-il.
Voilà des années qu’Alfred essayait d’apprendre la science de la botanique à Archie, mais force était de constater que ce dernier y était totalement hermétique.
— Je veux bien passer sur l’offense que tu as faite à mes précieuses fleurs pour ce sourire que je n’ai pas vu une seule fois depuis ton arrivée.
Il s’approcha du banc sur lequel Archie venait de s’échouer pour s’y installer à son tour. Tous deux contemplèrent un instant l’animation qui régnait dans le domaine hôtelier. Une famille attira l’attention d’Archie. Il regarda la petite fille atterrir sur ses fesses après avoir glissé du toboggan. Elle se mit à pleurer. Aussitôt ses parents arrivèrent et la consolèrent avant de l’aider à se relever. Il enviait cette enfant de pouvoir être entourée et vivre des moments de bonheur. C’était loin de ce qu’il avait connu. Machinalement, il passa les doigts sur son flanc gauche. Un tic qu’il avait chaque fois qu’il pensait à sa mère.
— Alors ? Tu m’expliques ce qui ne va pas ?
Archie fut sorti de ses réflexions par la voix grasse d’Alfred. Cet homme était tout pour lui. Son père, sa mère, son grand-père, son confident quand ça n’allait pas. Et aujourd’hui, il avait besoin de sa présence. Il avait saisi l’occasion qu’il réquisitionne son aide pour venir le voir. Quitter San Francisco et rouler jusqu’à Sonoma. C’était son refuge. Peu importait que le but soit de planter des fleurs, ici, il était chez lui.
— C’est ton cousin qui t’a remis en place ? le relança Al, inquiet de n’obtenir toujours aucune réponse.
— Non, il est satisfait de mon travail, finit par dire Archie. Je suis même sur un gros contrat pour sa boîte. J’ai été ce matin rencontrer le client et…
Archie serra les poings.
— Et, c’est un enfoiré de première.
Al éclata de rire.
— C’est pour ça que tu es dans cet état ?
— C’est un gros coup pour moi, Al. Si ça marche, Tony me laissera rejoindre sa boîte dès que j’aurais mon diplôme. Je pourrai travailler et vivre de ce que j’aime.
Pas en tant que larbin stagiaire, mais un employé à part entière. J’ai déjà tellement galéré pour obtenir ce poste d’assistant. Et il a fallu que le projet qui va me permettre de réussir se fasse avec le pire mec que je pouvais envisager.
— C’est qui ce gars ?
— Nathaniel Harper. Le DRH de la Harper corporation. La boîte fête ses vingt ans et pour marquer le coup, ils organisent un événement histoire de réunir le
personnel.
— Eh bien, tu as l’objectif, le but, où est le problème ? Ce Harper n’aura rien à dire si tu remplis tous les critères, alors ne te laisse pas abattre pour si peu. Tu sais que pour obtenir cet hôtel SPA, j’ai sué sang et eau ! J’ai dû me battre face à des types que tu aurais sûrement déjà cognés tant ils étaient arrogants.
Archie se retint de lever les yeux au ciel. Cette histoire, il la connaissait par cœur. Al la racontait dès que l’occasion se présentait. Si au début, il avait été impressionné du chemin parcouru – passer de commissaire à gérant d’un domaine à Sonoma méritait de l’être – maintenant il n’en pouvait plus de l’entendre.
— Je sais, Al, le coupa-t-il avant que ce dernier ne se replonge dans ses longues explications. Et ne t’inquiète pas, je ne vais pas me laisser faire, ce n’est pas un type comme lui qui m’empêchera de réussir mon stage et de travailler enfin dans l’événementiel.
— Bien dit ! conclut une voix féminine en lui tapant dans le dos.
Les deux hommes sursautèrent. Aucun d’eux n’avait entendu arriver Céliana.
— Mon cœur, je t’ai déjà demandé d’arrêter de venir comme ça, sans prévenir, la rabroua Al.
— Il faut bien ! Sinon, je ne suis jamais au courant de vos messes basses à tous les deux.
Archie lui sourit un peu fautif. Céliana était la compagne d’Al depuis sept ans maintenant, et il l’adorait, mais son lien avec elle n’était pas aussi fort que celui qu’il entretenait avec Al. Et il devait reconnaître que lorsqu’il venait, il monopolisait Al pour ne l’avoir qu’à lui.
— Pardon, Céli. J’avais besoin de parler.
— Comme toujours mon grand, ne t’inquiète pas, je ne t’en veux pas. Et j’ai entendu que ce DRH t’en faisait baver. Tu devrais lui proposer de fêter les vingt ans de la boîte ici, je pourrais monter des ateliers de détente.
Céliana était une ancienne esthéticienne, reconvertie en coach de développement personnel et de bien-être. Elle était devenue adepte de naturopathie. Elle offrait à ses clients de passage au domaine des séances pour se ressourcer, et se retrouver au moyen de différentes pratiques, comme les automassages ou la sophrologie dans le parc qui entourait la propriété, près de la rivière. Le cadre s’y prêtait parfaitement. Céliana avait déjà tenté d’initier Archie, pourtant ce concept lui était totalement étranger. S’il avait besoin de se relaxer, il grimpait sur sa moto, venait ici ou il sortait et ramenait un gars dont il ne retiendrait pas le nom, mais qui lui permettrait d’oublier ces soucis. C’était ainsi qu’il fonctionnait et cela lui convenait pleinement. Toutefois, l’idée de la proposer aux employés pourrait récolter du succès. Il devrait, au préalable, se renseigner et établir le budget.
— Merci Céli, je vais y réfléchir.
— De rien mon grand, allez, maintenant dépêche-toi de finir de planter ces hortensias, et reste dormir ce soir, je vais nous préparer un bon repas.
Archie lui sourit. Il était heureux d’avoir un lieu de chute où il était toujours le bienvenu.
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Chapitre 2
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Une semaine plus tard, Archie avait réalisé son enquête de terrain et était en train d’élaborer plusieurs idées de thèmes pour cette soirée d’anniversaire professionnel. Il s’y consacra toute la journée, s’assurant de prévoir tout pour que le projet plaise à cet acariâtre de DRH.
En y repensant, Archie trouvait que le personnage collait parfaitement à son rôle de directeur. Le parfait cliché, obnubilé par le travail, détestable dans sa façon de parler, y compris à son frère qui était son opposé, avenant, souriant et ouvert.
Archie soupira, il aurait été bien plus facile d’avoir affaire à l’aîné.
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Mais qu’importe, il était décidé à obtenir ce contrat et à l’honorer. Ce n’était qu’un défi de plus et une expérience supplémentaire, car, il en était certain, ça ne serait pas le premier ni le dernier client imbuvable. C’était finalement un bon exercice.
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Il devait reconnaître que lui-même ne s’était pas conduit de manière irréprochable, mais, de caractère impulsif, il avait réagi au quart de tour devant la première remarque cinglante qu’avait utilisée ce « M. Harper ». Il était certes plus âgé que lui, cependant ça ne lui donnait pas tous les droits. De plus, à ses yeux, la différence d’âge ne justifiait pas ce comportement, encore moins quand elle était minime comme devait être la leur.
— Salut, fit une voix plate.
Le colocataire d’Archie venait de rentrer. Le jeune homme se traîna jusqu’à leur cuisine où il se servit une bière.
— Salut, dure journée ?
— Horrible, répondit l’autre, tu peux me rappeler pourquoi j’ai choisi le droit déjà ?
Archie ricana. Son ami était un petit génie qui réussissait dans beaucoup de domaines. Il lui était possible de s’orienter vers différentes voies. Il avait, toutefois, la particularité d’être aussi fainéant qu’intelligent.
S’affalant dans le canapé derrière lui, Julian lâcha un soupir à fendre l’âme. Archie tourna le regard dans sa direction, mais ne vit que les pointes de ses cheveux blonds coiffés en brosse, dépasser du dossier.
— Hum, parce que tu es un intello qui ne pouvait pas faire moins qu’avocat ou juge comme ses parents ?
— Ça craint, déclara son colocataire.
Archie sourit à l’évocation de cette expression que Julian utilisait à longueur de temps.
— En plus, Abigaël est revenue à la charge. Cette fille est folle, conclut-il.
— Folle de t’apprécier ?
Julian lui fit un doigt d’honneur qu’il laissa dépasser au-dessus de sa tête pour toute réponse.
— Allez, moi je la trouve super, je comprends pas pourquoi tu ne vas pas vers elle, continua Archie, aucunement offensé.
— Parce que les filles, ça craint, il faut tout le temps être présent, les sortir, et leur dire qu’on les aime. Tout ça m’épuise.
Archie leva ses yeux au ciel :
— Tu te rends pas compte de la chance que tu as de pouvoir plaire à quelqu’un de bien et sans histoire. Et je parie qu’Abigaël n’est pas du genre à réclamer des déclarations chaque jour, ce n’est pas Paige.
L’évocation de son ex fit frissonner Julian. Cette fille l’avait définitivement dégoûté de la gent féminine.
— Peu importe, et toi ? Tu avances sur ton projet pour ton DRH coincé ?
Archie aurait bien utilisé l’expression préférée de Julian à cet instant, mais n’en eut même pas la force. Il se passa une main dans ses cheveux, avant de les rattacher en chignon rapidement.
— Ah, à ce point...
— C’est pas ça, des idées j’en ai des tas, mais je suis sûr que « monsieur, j’ai un balai dans le cul » va tout rejeter en bloc par principe. Je peux pas me planter, c’est
une chance que m’offre Anthony.
— À toi d’être convaincant, c’est pas ton genre de baisser les bras, alors montre-lui qui tu es. Tu es Archie Evens et bientôt toute la ville te réclamera pour organiser les plus prestigieux événements qui s’y produiront.
Archie lâcha un sourire :
— Mouais, admettons. J’espère en tout cas m’occuper des tiens, quand tu seras le plus grand avocat de cette ville.
Leurs rires résonnèrent dans le petit appartement qu’ils louaient avec leurs maigres économies. Un havre de paix qu’ils chérissaient.
La bourse d’études qu’Archie avait obtenue ne lui permettait pas de vivre dans cet appartement de Richmond Hill, en colocation. Il avait, dans un premier temps, enchaîné les jobs étudiants, en attendant de pouvoir se rapprocher de son domaine de prédilection. Archie avait convaincu son cousin de l’embaucher en tant que stagiaire-assistant dans sa société d’événementiel. Il n’avait fait que suppléer jusqu’à la semaine dernière où Anthony lui avait laissé sa chance. Celle de rentrer dans le monde du travail.
De son côté, Julian pouvait compter sur l’aide de sa famille, qui lui offrait la possibilité de ne pas se préoccuper de payer le loyer. C’était le souhait de son père avant tout : le voir se consacrer aux études et devenir le meilleur. Archie n’enviait pas Julian pour autant, même si ce dernier n’avait pas à s’inquiéter de l’argent, un parent aussi exigeant était un souci dont il était heureux de se passer. Car, en effet, ce n’était pas son père absent qui se permettrait le moindre reproche.
— Je sais, mais le ventre vide, tu n’arriveras à rien ! Alors, commande nous chinois avant que les gargouillements de ton estomac résonnent dans tout l’appart.
— Tu pourrais appeler, je voudrais finir ce que je fais.
Archie montra les documents qu’il tenait, mais Julian n’y prêta pas attention, attrapant la manette de leur console pour commencer sa partie de Breath of the Wild.
— T’es vraiment une feignasse !
Il lança son stylo sur le canapé ratant de peu la tête de Julian pour appuyer son mécontentement et composa le numéro du restaurant. Son estomac lui rappela l’importance imminente de se sustenter et s’il attendait que Julian agisse, il y serait encore demain.
Le ventre rempli après leur repas, ils passèrent le reste de la soirée devant la console. Les parties s’enchaînaient, tandis qu’ils se racontaient leur journée. C’était là, leur moyen de décompresser.
***
Au volant de sa voiture, Nathaniel rentrait chez lui. Il était vingt-deux heures trente. Le travail l’avait accaparé sans qu’il ne voie l’heure passer. Encore une fois.
Se garant dans l’allée, il coupa le moteur et leva les yeux sur sa maison. La fenêtre de l’étage était éclairée, Casey devait déjà être montée se coucher. Elle commençait sa garde tôt le lendemain.
Une fois chez lui, il ôta sa veste et enleva ses chaussures. Il passa par la cuisine et aperçut une assiette recouverte par une autre, laissée sur la table pour lui. Il souleva la première pour regarder son contenu. Du poulet grillé et des légumes verts, le tout, il le savait, sans matière grasse. Casey était extrêmement vigilante à sa ligne et, par la même occasion à la sienne. Étant donné ses antécédents familiaux, elle veillait à son hygiène de vie. C’était une attention dont Nathaniel aurait préféré se passer. Il soupira, ce genre de repas ne lui donnait pas du tout envie.
Il monta les marches et se dirigea vers la chambre conjugale. Dans leur lit, Casey lisait un de ses magazines people dont elle raffolait.
— Bonsoir chérie.
Casey ne répondit pas et Nathaniel continua en venant s’asseoir à côté d’elle :
— Je suis désolé, j’ai eu encore beaucoup de travail.
Il posa sa main sur celle de sa petite amie. Il caressa du bout des doigts son poignet puis remonta le long de son bras jusqu’à la bretelle de la nuisette qui pendait sur l’épaule fine de Casey. Il repoussa une mèche de ses cheveux pour venir déposer un baiser dans son cou qui la fit frissonner.
— Tu exagères, réussit-elle à dire.
— Humm.
Nathaniel continua et descendit jusqu’à sa poitrine, baissant le bout de tissu pour découvrir un sein, mais Casey le stoppa :
— Nathaniel, arrête. Je me lève tôt demain, je suis fatiguée.
Relevant le regard pour capter celui qui lui faisait face Nathaniel vit qu’elle était sérieuse. Soupirant, il remit la bretelle en place.
— Je sais, mais je n’ai pas pu me libérer plus tôt.
— C’est pas grave, je sais que l’entreprise vous demande beaucoup à toi et ton frère. Le plus important c’est ton travail et que Clyde se rende compte à quel point tu
es investi.
Nathaniel fronça les sourcils à cette dernière remarque. Il n’aimait pas parler de son oncle.
— Ce week-end je ne travaille pas, on pourra en profiter pour sortir, lui sourit-elle.
Nathaniel hocha la tête :
— OK. Allez dors, je vais manger un morceau.
Il déposa un baiser sur les lèvres de Casey puis redescendit à la cuisine se réchauffer son plat. Il savait qu’il exagérait avec le travail. Il s’en voulait de ne pas être
plus présent pour elle, mais ne pouvait pas faire autrement, il y avait toujours une bonne raison pour rester au bureau. Il se promit de se consacrer à elle ce week-end.
***
Il était trois heures du matin, et Nathaniel ne dormait plus. Comme souvent, le sommeil le fuyait. Pour ne pas réveiller Casey qui pouvait encore profiter de deux bonnes heures avant que l’alarme ne sonne, il descendit les escaliers et alla dans le salon. Il alluma la télévision. Aucun programme n’attira son attention, il attrapa alors son téléphone et consulta ses mails.
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Il n’en avait qu’un depuis la dernière fois où il avait vérifié, soit trois heures avant, et il venait d’Archie Evens. Le mail avait été envoyé quinze minutes plus tôt.
Étonné de constater ce détail, il ouvrit et lut le texte de ce dernier qui lui proposait trois formules avec les budgets pour chacune d’elles.
Il répondit au mail dans la foulée, par habitude :
« Je vais étudier les projets et vous répondrai dans la matinée. »
Une fois fait, il ouvrit les PDF joints et analysa les différentes propositions, haussant les sourcils sur la première option.
​
***
Dans son appartement, Archie était encore éveillé. Il avait joué toute la soirée aux jeux en ligne avec Julian. Ce dernier était dans les bras de morphée depuis plusieurs heures quand, de son côté, il n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il avait décidé de finir ses projets et les avait envoyés. Cependant, il ne s’attendait pas à une réponse aussi rapide surtout à cette heure avancée de la nuit. Réponse qui au demeurant restait fidèle au personnage.
Il ne résista pas à l’envie de répondre à son tour :
« Vous êtes encore debout ? »
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Il attendit patiemment qu’un mail de retour lui parvienne. Bien que courte, cette attente durant laquelle il se fustigea de l’avoir relancé lui sembla interminable. Ne pouvait-il pas juste se contenter d’attendre sa réponse ce matin et de rester professionnel ? Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire, de toute façon, qu’il ne dorme pas non plus ?
Un bip l’avertit d’un nouveau mail :
« Je vous renvoie la question.
Est-ce qu’on parle de votre première proposition de visite de vignoble ou je passe directement aux suivantes ? J’attends de découvrir avec impatience les deux autres lieux choisis. »
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Archie relut le message, et ses traits se crispèrent au fur et à mesure. Alors il voulait la jouer comme ça, se dit-il.
« Les vignobles sont des lieux très fréquents pour des séminaires de travail, celui que je vous propose est d’ailleurs majoritairement dédié à ça.
Il est rattaché à un domaine dont le lieu de réception est magnifique et dépaysant à quelques kilomètres seulement de San Francisco.
Et pour répondre à votre première question (qui était la mienne au départ), je n’ai pas souvent ce genre de problème, mais il se trouve que je travaille sur un gros projet pour un homme qui ne semble pas enclin à me faire confiance. J’ai donc du mal à trouver le sommeil ce soir. »
Il appuya sur la touche envoi. Cet homme l’agaçait au plus haut point. Pourtant, malgré son comportement, il ne pouvait nier qu’il le trouvait attirant. Il avait un regard qu’il aimerait voir le supplier et… Archie se figea net. Qu’est-ce que son cerveau venait de lui envoyer comme image ? Les yeux écarquillés, il lui fallut quelques secondes pour cligner des paupières à nouveau.
« Et merde ! »
Hélas, ce n’était pas près d’arriver, non seulement cet homme était odieux, mais en plus, il le savait, il n’était pas célibataire. Il avait vu la photo sur son bureau d’une jeune femme qui l’enlaçait dans un parfait cliché de couple heureux. Mais surtout, il refusait de se laisser distraire, car il s’agissait du contrat qui lui ouvrirait des portes, une fois diplômé. Et pour cela, il avait bataillé durement. Convaincre Anthony n’avait pas été une mince affaire. Ils avaient beau être cousins, le travail ne devait pas se mêler au privé. Et pourtant, il avait su faire ses preuves et prouver qu’il en était capable.
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Une nouvelle alerte l’informa de la réponse de ce M. Harper qui, à première vue, était plus longue que les précédentes :
« Je suis navré que cet homme vous cause tant de soucis, peut-être devriez-vous revoir vos ambitions à la baisse, si vous n’arrivez pas à supporter de si petites pressions. Pour ma part, travailler avec des amateurs farouches ne m’intéresse pas.
Et pour répondre également à votre question, je suis insomniaque. Il est donc fréquent que je consulte mes mails professionnels la nuit.
Je viens de découvrir le deuxième projet qui m’interpelle tout autant... une soirée de gala sur le thème Star Wars ? Je suis désolé de vous décevoir, jeune padawan, mais ce thème ne correspond pas à l’entreprise... »
Les poings serrés, Archie tenta de garder son calme. Il souffla un bon coup et tapa sur le clavier avec virulence sa réponse :
« La pression n’est pas un problème et je n’ai pas pour habitude de me laisser intimider facilement et encore moins abandonner. Le thème Star Wars est très répandu avec la sortie du troisième opus. D’autres grandes boîtes s’en sont inspirées et ont récolté un franc succès auprès de leurs employés. Et avant que vous détruisiez la dernière idée, apprenez que les olympiades sont aussi un thème récurrent. Enfin, sachez que je vous ai proposé ces trois options suite à une enquête de terrain. »
La réponse ne tarda pas à arriver :
« Précisez ? »
Un rictus apparut sur les lèvres d’Archie, il avait son attention :
« Le lendemain de notre entretien express, je suis repassé et je suis allé à la rencontre de vos employés pour les interroger. Ce qui m’a conduit à vous proposer ces trois thèmes. Sachez également qu’ils étaient ravis de voir l’intérêt que vous portez aux vingt ans de l’entreprise. L’enthousiasme était général.
À vous de voir si vous voulez faire changer les choses… »
Aucune réponse ne lui parvint dans les quinze minutes qui suivirent. Archie se demandait s’il ne s’était tout simplement pas endormi ou s’il allait mettre fin à une collaboration qui n’avait pas vraiment commencé.
« Je vous attends dans mon bureau à midi, on rediscutera de tout cela en personne. Bonne nuit. »
Archie ne sut quoi penser de cette réponse : était-ce bon signe, ou tout le contraire ?
« Je serai là. Bonne nuit. »
Il éteignit son portable et s’allongea dans son lit. Les idées se bousculaient dans sa tête. Il finit par s’endormir, curieusement détendu après cet échange.
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